Un raisonnement superficiel pourrait conduire à penser que l’intuition, par son caractère non rationnel, serait l’opposé du raisonnement scientifique, alors qu’il est son indispensable moteur.

Le grand mathématicien et physicien Henri Poincaré (1854-1912) a écrit à propos de l’intuition qu’il nomme « moi subliminal » :

Henri Poincaré

« Le moi inconscient ou, comme on dit, le moi subliminal joue un rôle capital dans l’invention mathématique ; cela résulte de ce qui précède. Mais on considère d’ordinaire le moi subliminal comme purement automatique. Or nous avons vu que le travail mathématique n’est pas un simple travail mécanique, qu’on ne saurait le confier à une machine, quelque perfectionnée qu’on la suppose.

Il ne s’agit pas seulement d’appliquer des règles, de fabriquer le plus de combinaisons possibles d’après certaines lois fixes. (…)

Le véritable travail de l’inventeur consiste à choisir entre ces combinaisons, de façon à éliminer celles qui sont inutiles ou plutôt à ne pas se donner la peine de les faire.

Et les règles qui doivent guider ce choix sont extrêmement fines et délicates ; il est à peu près impossible de les énoncer dans un langage précis ; elles se sentent plutôt qu’elles ne se formulent ; comment, dans ces conditions, imaginer un crible capable de les appliquer mécaniquement ?

Et alors une première hypothèse se présente à nous ; le moi subliminal n’est nullement inférieur au moi conscient ; il n’est pas purement automatique, il est capable de discernement, il a du tact, de la délicatesse ; il sait choisir, il sait deviner. Que dis-je ? Il sait mieux deviner que le moi conscient, puisqu’il réussit là où celui-ci avait échoué. En un mot, le moi subliminal n’est-il pas supérieur au moi conscient ? » (1)

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(1) Henri Poincaré  « Science et méthode » Editions Flammarion (1908)  (page 30)